6 Dans Mange et bois/ Voyage

Oui, oui, j’ai bel et bien vu son p’tit Témis

J’ai vu son p’tit Témis

Ça s’est passé l’été dernier. Voici le topo. Je suis à bord d’un Dash 8-100 de Bombardier. Avant de me lancer: «Oh! Tu vis la vie de Jet set!», j’aimerais vous mentionner que l’appareil est un 40 passagers, à moitié plein, ou vide pour les pessimistes et que notre destination est Rouyn-Noranda. Pas que l’endroit soit dépourvu de charme, mais je ne m’attends pas à voir le Vésuve ou la Sagrada Familia, mettons. Une fois arrivé, j’ai le pressentiment que c’est en Dodge Caravan qu’on nous cueillera tel des fruits mûrs pour nous transporter  jusqu’à Ville-Marie dans le Témiscamingue. C’est le Salon du livre qui nous attend pour le weekend, nous, les «auteurs», la chair à lecteurs.

Témis

Du haut des airs, je me rappelle mes débuts à la radio énergie de Rouyn. Je lisais les sports dans l’émission du matin et, avoir des nouvelles fraîches tenait de l’exploit. C’est qu’internet n’existait pas encore à l’époque et les journaux en provenance de la métropole arrivaient vers 14 heures. Pas besoin de vous dire qu’à cette heure, le coq et Marie Carmen avaient chanté plus que trois fois. Puisque nous faisions partie d’une grande famille radiophonique, on avait mandaté deux journalistes du lointain Montréal de lire leur bulletin sur «feed» réseau. Nous, on l’enregistrait sur un magnétophone à ruban, pour ensuite le repasser et le retranscrire à la dactylo électrique, quand même! (Pourquoi à ce stade-ci j’ai l’impression d’avoir cent ans?).

Moi qui viens de Sherbrooke, j’étais plutôt dépaysé par l’Abitibi. L’aridité de certains sols et les forêts de conifères me donnaient un peu l’impression d’être dans le Grand Nord…que je n’ai jamais visité, voilà pour la crédibilité du voyageur. J’ai toutefois retrouvé au Témiscamingue, des paysages similaires aux Cantons-de-l’Est. Mais revenons à notre périple.

Oh! Sanchez, notre agent de bord qui casse le français, l’anglais et peut-être d’autres langues, mais qui compense en arborant des dents d’un blanc lait écrémé, vient d’annoncer qu’on amorce notre descente. Si ce texte s’arrête ici, c’est qu’on…a…bref, à tantôt…peut-être.

Ok, on est sur le sol! Pas que j’avais peur, mais quand Sanchez m’a répondu: «non, on en a pas dans cet avion» à ma question: «avez-vous une prise de courant pour charger mon cell?» ça m’a inquiété quelque peu. Je n’ai plus l’habitude de voler à l’hélice non plus. C’est pas comme faire de la bicyclette j’imagine, ça se perd.

Comme je l’avais imaginé, j’ai le cul sur un siège escamotable d’une Dodge Caravan 7 passagers. Notre chauffeur nous dit que le Témiscamingue c’est BEAUCOUP plus beau que l’Abitibi.  Assis complètement à l’arrière parce que je suis, semble-t-il, le seul à ne pas avoir le mal des transports, je ne peux m’empêcher de faire le calcul. Il y a quatre auteurs dans cette boîte à savon. Si on crash et qu’aucun s’en sort, admettons qu’il nous restait 5 livres chacun dans le corps. Le Québec sera donc privé de 20 nouvelles parutions…suite à cet énoncé, vous avez bien compris que:

1-le chauffeur parle avec l’auteur assis en avant, Benoit Bouthillette.

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2-Les boys de la deuxième rangée,

Tristan Malavoy

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et Stephane Dompierre 

échangent de grandes idées littéraires.

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3-Et moi?

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Je suis le gars de la banquette escamotable.

J’ai exigé de notre chauffeur qu’il nous avertisse à la seconde où on roulerait sur le Témis. D’ailleurs, Dompierre a été le premier à oser: «comme ça, vous allez nous montrer votre p’tit Témis». Un auteur de romans qui lance un jeu de mots au début d’un salon de trois jours, ça ouvre la porte pour les autres, ça casse la glace. Maintenant, tous pourront s’exécuter sans sentir le poids du jugement des autres plumes.

Le chauffeur est formel. Au Témis, les fleurs sortent deux semaines avant l’Abitibi. Dompierre récidive: «ici, l’hiver dure juste 11 mois». Rires gras. Niveau humour, désormais tout sera possible.

À 13 kilomètres de Ville-Marie, ma réputation est sauve. Ça ressemble beaucoup à l’Estrie! Des vallons, des fermes, des pissenlits, pareil j’vous dis! On longe l’immense lac Témiscamingue qui fait son frais, dans tous les sens du mot. Il est majestueux, certes, mais faudra sortir des gros « bills » pour faire de moi un Alex Despaties du mois de mai au Témis.

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Après la campagne, la grand’ ville! Un Provigo, une SAQ et une «Brassette». Non, une «Brassette» n’est pas un bar de danseuses manuelles. Vous avez vraiment l’esprit mal tourné!

C’est simplement une brasserie qui s’assume pas. Le comble de l’humilité.

Le chauffeur arrête son péril roulant devant le motel chez Caroline. Je sens que tous les auteurs se serrent le sphincter, ils se disent: est-ce que mon nom a été pigé dans le sac du motel-avec-tapis-et-salle-de-bain-lilas? C’est mon jour de chance, je suis le seul à ne pas avoir à débarquer. «T’es chanceux, tu loges Chez Eugène, le plus beau spot de Ville-Marie» me lance mon chauffeur du dimanche, en plein vendredi.

Témis

Effectivement, Eugène s’était mis beau. Ancienne maison du médecin tenu par un

couple sympathiqueTémis Marie-Jo et Ronnie.

Ils ont eu la brillante idée d’acheter aussi la maison d’à côté pour l’habiter. Eux autres le pont Champlain, y s’en câlissent.

Le Salon du livre se déroule à l’aréna. Où d’autres? La distance entre Chez Eugène et l’aréna se fait à pied, évidemment. Tout se fait à pieds à Ville-Marie. L’autobus de ville c’est un gars qui te prend sur son dos. J’sais pas si Dompierre l’aurait ri celle-là? Probablement pas.

Entre deux séances de dédicaces, je reviens Chez Eugène pour le dîner. J’ai maintenant la certitude que je suis au Témis lorsque j’entends mes voisines de terrasse se relancer sur ce qu’elles peuvent «câller».  Je m’attends à ce qu’elles sortent leurs téléphones intelligents pour faire des appels, mais elles enchaînent plutôt en nommant des animaux. Je sais pas si c’est parce qu’elles étaient bonnes ou que j’étais loin de chez moi, mais à un moment j’ai eu peur pour ma peau. Pendant une seconde je me suis vu embroché, le cul sur une flamme devant le regard de ces «câlleuses».

La journée s’est terminée au même endroit, la terrasse Chez EugèneTémis

                                 

                                                       

 Amélie Dubois,

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une auteure aussi prolifique qu’expérimentée avait eu la délicatesse de réserver pour 8 personnes. On était 18. La preuve que les auteurs, ça se tient entre eux. On aurait pu partir un syndicat.

Ça jase de quoi des auteurs autour de bonne chair et doux nectar? 

En vrac:

-Au début de leur carrière, certains ont pensé que pour écrire, on devait le faire en public, entre deux cigarettes, sous un épais nuage de boucane.

-Les médias sociaux nuisent au bon fonctionnement de la création.

-Plusieurs ont l’impression d’avoir un déficit d’attention. Étienne Boulay

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renchérit en partageant le constat de ses commotions, en engouffrant son deuxième dessert. Je crois qu’il louchait d’un œil. Est-ce possible de loucher de plus d’un œil?

-On partage nos trucs pour obtenir le maximum de nos petits cerveaux en un minimum de temps. L’un raconte qu’il fait un jogging et avale un café pour ensuite mettre un son d’ambiance continu, question de plaquer une couche de protection à une éventuelle distraction impromptue.

-On entend souvent: «ouin ben j’ai une semaine pour écrire 10 000 mots». Parce que les auteurs, ils parlent en nombre de mots. Ce sont des comptables de mots. «Ah oui, t’as sorti un nouveau livre! Combien de mots?»

Invariablement, ces conversations sont nappées de produits viticoles.

Aux petites heures, un «inspiré» lance: «demain matin à 9 heures, on saute dans le lac!». Heureusement, au moment de son illumination, je dormais déjà du sommeil du juste.

Le lendemain, le salon se passe à merveille. En soirée, les baigneurs nous montrent les clichés qui confirment leur rétrécissement testiculaires matinaux. On refait le monde en mangeant du pané chez Elle et Louis

Dernier stop, la microbrasserie Barbe Broue.

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Dompierre ne semble pas trop déçu de ne pas être celui qui a trouvé ce jeu de mots. Les proprios font pousser eux-mêmes leur houblon. C’est une tendance ici au Témis. On cultive proche. Même chose pour Angèle-Ann Guimond, une chef de la place que j’ai rencontrée. En famille, ils ont rénové une grange, ils en ont fait La table champêtre L’Éden rouge où il servent le fruit des récoltes de leur jardin, flanqué de viandes et de produits du terroir. Le plus près possible.
À ma prochaine visite, je passe à votre table, c’est sûr!

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Avec quelques heures à tuer avant le départ en mini bus vers Rouyn, on décide d’aller faire un tour à la Forêt enchantée dans le parc du Fort Témiscamingue Obajiwan, sur le bord du lac Témiscamingue. L’endroit est superbe et notre guide Phil Doherty fait un travail de chef. Nous sommes sur les traces du poste de traite de la Compagnie de la baie d’Hudson. C’est là où ils rencontraient les indiens pour prendre leurs peaux contre des cossins.

À deux jets de pierres de là, le restaurant La Bannik. Grande table avec vue surplombant le lac.

Vous pouvez aussi y louer des chalets de toutes grandeurs. Ce n’est que partie remise. Dans le véhicule, pour l’ambiance je chante (à la manière de Bruno Pelletier après un accident de gorge) «si tu savais comme on s’ennuie à la Banniiiiiik…» Je crois avoir pris Étienne Boulay de vitesse. Il a ri. Bien qu’avec ses commotions, on sait jamais si c’est à cause du gag ou si c’est simplement un flashback.

Me revoilà dans le Dash 8-100 de Bombardier avec quelques nouveaux amis auteurs. Sanchez a laissé sa place à une hôtesse qui a la voix aussi haut perchée que la fille qui chante « I’m a Barbie girl…»

Je ne peux m’empêcher de faire le calcul. Il y a 16 auteurs dans cette boîte à savon. Si on crash et qu’aucun s’en sort, admettons qu’il nous restait 5 livres chacun dans le corps. Le Québec sera donc privé de 80 nouvelles parutions…et plus personne pour dire: «vous allez nous montrer votre ti-Témis!»Témis

Le parc du Fort Témiscamingue…dans un plan trèèèès large…

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